Épisode 3
Fernand, c'était
le mécano de la Cabane volante. Il n'avait plus entendu le silence
depuis 10 ans qu'il travaillait dans la salle des machines. Réveillé
en sursaut par cette sensation inédite, il resta immobile, sans
comprendre. Il était déboussolé. 7h30. Il était seul dans la
pièce. La relève n'allait pas tarder à arriver. Sa garde de nuit
était presque finie. Il aimait la solitude du veilleur, chargé
d'assurer un sommeil paisible aux habitants de la Cabane. Il
acceptait souvent de prendre les services de nuit. Bien trop souvent
au goût de sa compagne Anne, sa "tendre fermière", comme
il aimait l'appeler.
Anne et lui
s'étaient rencontrés à bord de la Cabane il y a près de 30 ans.
C'est à cette époque qu'il avait rejoint la folle embarcation.
C'était ça ou le service militaire, sur fond d'une nouvelle guerre
qui s'annonçait contre l'Allemagne alors il n'avait pas hésité
longtemps. Anne avait besoin de bras supplémentaires à la ferme à
cette époque, il était venu travailler pour elle et leur rencontre
avait été fructueuse dans tous les domaines.
Essayer de nourrir
tous les Cabanautes avec si peu de terre à leur disposition
était un défi sans cesse renouvelé, voire impossible sans les
apports extérieurs, mais ils aménageaient au mieux l'espace et les
cultures pour faire sortir le plus de fruits de la terre. Quand les
premiers engrais et pesticides avaient fait leur apparition à bord,
dans les années 1950, Anne avait refusé tout net leur utilisation,
malgré l'augmentation du rendement qu'ils permettaient. Elle avait
flairé le danger, méfiante devant la rapidité de croissance des
végétaux. D'autres fermiers, car ils étaient quelques uns à avoir
un petit bout de terre, avaient fait le choix inverse, mais Anne
tenait bon et se targuait de produire les meilleurs fruits et légumes
de la Cabane. Elle cultivait même les "meilleures poires de la
terre et du ciel", de l'avis
général des résidents et de tous les nouveaux arrivants.
Fernand
revint à la réalité lorsqu'il aperçut à nouveau la patte de
castor géant par le hublot. Un hublot ? Depuis quand y avait-il un
hublot ici ? Et... un castor géant ? ... qui avait remplacé les
machines ? Il avait assisté à d'étranges phénomènes, durant ces
années de vol, mais de mémoire d'ancien, c'était la plus étrange
apparition qu'il eût jamais vue. Ce silence envahissant, c'était
donc ça... la salle des machines n'existait plus, du moins pour le
moment. Il était abasourdi.
Depuis
dix ans, il entretenait les moteurs et autres appareils, il réparait,
il révisait, il graissait. Dix ans qu'Anne et lui avait pris leur
retraite pour confier la gestion de la ferme à un agriculteur
américain fraîchement débarqué de Californie et adepte d'organic
farming, de massages new
age et de cannabis. Il avait
tout de suite plu à Anne, qui s'était doucement retiré de
l'activité, ne venant plus à la ferme que pour ce qui lui plaisait
le plus : bichonner les poiriers et chanter entre les allées du
potager pour faire pousser les plantes. Fernand, lui aussi retraité
de la ferme, avait repensé à son goût pour la mécanique et
s'était proposé comme apprenti à la salle des machines. Heureux de
compter une indispensable recrue, l'équipe en place lui avait appris
le métier et il était ainsi devenu mécanicien. Mais il se
retrouvait désormais avec pour seule mécanique un ornithorynque
géant nommé Lucky, avec un bec de lièvre de surcroît, faisant
office de moteur, de propulseur, de carburateur, de transmission et
même de carburant.
C'est
à ce moment que la voix familière retentit : "Chers
passagères, chers passagers, il y a 52 ans jour pour jour démarrait
notre exceptionnel voyage. Pour célébrer cet anniversaire, des
festivités se dérouleront à partir de 19h. Vous trouverez le
programme dans votre boîte aux lettres. Nous vous souhaitons une
bonne journée". Suivit la même annonce en anglais, en russe,
en arabe, en chinois et en espéranto. D'un pas décidé, Fernand, se
précipita dans le couloir vers la salle d'état major pour annoncer
l'inexplicable événement quand il entra en collision avec Lucas.
A suivre...
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