mercredi 22 avril 2020

De la part de Muriel



Evan, suite 


Évan, étudiant infirmier mobilisé : “Je me demande si je serai à la hauteur une fois diplômé”

Juliette Bénabent  -  Le Monde Publié le 20/04/2020 


Évan, 23 ans, étudiant infirmier, travaille dans le service de réanimation d’un grand hôpital de la banlieue parisienne. Après quatre semaines, il prend confiance, tout en se posant des questions sur son étrange fin d’études : « Avant le diplôme, en juillet, nous devions faire un stage pré professionnel de dix semaines dans un service que ​chacun pouvait choisir selon le poste ​qu’il espère obtenir après. Au début de la mobilisation, on nous a dit que ​ce stage serait réduit à cinq semaines. Maintenant, on sait qu’il est carrément supprimé. C’est cette période de renfort qui tiendra lieu de stage. J’espère qu’on sera tout de même payés 1 400 euros comme promis et pas au tarif de stage (1,43 euro de l’heure)… Ce qui m’inquiète un peu, c’est que je fais actuellement un travail d’aide-soignant et non d’infirmier : concrètement, je ne suis pas en train d’apprendre mon futur métier, même si bien sûr cette expérience est très riche. J’apprends à travailler en équipe et à gérer l’urgence, mais sur le plan technique je ne me sens pas tout à fait prêt. Je regarde les infirmiers autour de moi, je vois leur technicité, leur rapidité, et je me demande si je serai à la hauteur. » 



« Depuis une semaine, je trouve qu’il y a davantage de monde dans les rues, certaines activités reprennent. Même à 6 heures du matin, le métro n’est plus aussi vide. Avant, j’étais seul dans un carré, maintenant on est au moins deux, et tout le monde n’a pas de masque. Mon trajet est long, à cause des stations fermées. Je vais peut-être prendre quelques taxis – on y a droit en tant que soignant sans avancer de frais [l’hôpital paie, puis est remboursé par l’assurance maladie, ndlr]. 

Depuis mon week-end difficile, ça va beaucoup mieux, j’ai eu de très bonnes journées. Je suis un homme simple, une bonne journée c’est quand il n’y a pas de décès, quand j’ai bien travaillé et quand mes supérieurs sont contents. Je suis de plus en plus à l’aise et confiant, et je commence doucement à participer à des gestes un petit peu plus techniques, et qui se rapprochent de ma future pratique d’infirmier : par exemple, des prises de sang. 


Depuis dix jours, l’amélioration se confirme. On ferme des lits qu’on avait aménagés pour la réanimation, afin que les chirurgiens puissent reprendre certaines opérations. Les patients tiennent le coup, ils sont là depuis deux ou trois semaines parfois et trouvent le temps long, même s’ils vont mieux. La plupart ne sont pas intubés, ils sont donc conscients. Quand on entre dans une chambre, on y reste un bon moment pour éviter d’avoir à multiplier les allers-retours, on prend le temps de discuter. 

Les malades sont souvent angoissés ; on les rassure, on fait des blagues, on échange. Je pose des questions sur leur famille, plusieurs ont des visites régulières, comme cette dame que son fils vient voir tous les jours. D’autres moins : par exemple, un monsieur qui est tombé malade à Paris​, où il était venu pour un mariage, mais dont la famille est éloignée. Il reçoit des appels, mais il est seul. Tous posent beaucoup de questions sur la date de leur sortie. Seront-ils contagieux en rentrant chez eux ? Pendant combien de temps ? Etc. Je les renvoie vers les médecins car je ne sais pas répondre. 

“Côté matériel, ça va mieux : on a des masques, du gel hydroalcoolique et des blouses fournis par des maisons de luxe” 

Le rythme, lui, est ​toujours ​soutenu, mais le service est plus serein​. Tous les renforts mobilisés au fur et à mesure sont maintenant opérationnels. Côté matériel, ça va mieux : on a des masques, du gel hydroalcoolique et des blouses fournis par des maisons de luxe 

. Elles sont toutes simples, mais on bosse quand même dans des blouses Dior ! On a reçu des machines à café et des tonnes de repas, offerts par des entreprises de restauration ou même par des familles. Ça donne le sentiment que tout le monde est derrière nous, chacun à mesure de ses moyens. Sentir cette solidarité est réconfortant​. Et comme en partant le soir, on peut emporter de la nourriture, je mange comme un roi et je fais des économies. 

Sur le plan administratif, côté études, tout est assez flou pour moi. C’est une fin d’année évidemment perturbée : certaines écoles ont suspendu tous les devoirs écrits à rendre ; d’autres, comme la mienne, les ont seulement allégés. ​On était censés avoir deux semaines de vacances en avril, lesquelles seront peut-être reportées en mai, mais rien n’est sûr. Surtout, avant le diplôme en juillet, nous devions faire un stage pré professionnel de dix semaines dans un service que ​chacun peut choisir selon le poste ​qu’il espère obtenir après. Au début de la mobilisation, on nous a dit que ​ce stage serait réduit à cinq semaines. Maintenant, on sait qu’il est carrément supprimé. C’est cette période de renfort qui tiendra lieu de stage. J’espère qu’on sera tout de même payés 1 400 euros comme promis et pas au tarif de stage (1,43 euro de l’heure)… 

“J’apprends à travailler en équipe et à gérer l’urgence, mais sur le plan technique je ne me sens pas tout à fait prêt” 

Ce qui m’inquiète un peu, c’est que je fais actuellement un travail d’aide-soignant et non d’infirmier : concrètement, je ne suis pas en train d’apprendre mon futur métier, même si bien sûr cette expérience est très riche. J’apprends à travailler en équipe et à gérer l’urgence, mais sur le plan technique je ne me sens pas tout à fait prêt. Je regarde les infirmiers autour de moi, je vois leur technicité, leur rapidité, et je me demande si je serai à la hauteur. J’ai vu par exemple une infirmière​ de réanimation ​chevronnée montrer à un collègue d’un autre service comment remplacer les petits tubes qui alimentent un cathéter. Cela s’appelle « changer les lignes », et c’est un geste sensible car tout doit être stérile. Elle allait tellement vite ! Je me suis dit que je ne saurais pas reproduire ces gestes aussi rapidement et précisément, et j’ignore à quel moment je vais apprendre… 

J’aurais vraiment eu besoin de ce dernier stage, il va me manquer, et ​mes camarades pensent la même chose. Certains jours, ces réflexions me polluent un peu. Même si je dois me concentrer sur le travail quotidien, je ne peux pas m’empêcher de penser aussi à mon avenir. L’entrée dans le monde du travail se rapproche. Je me rassure en me disant qu’à la prise de poste, les services tiendront forcément compte de notre fin de scolarité très particulière et qu’il y aura une période de fin de formation, qu’on ne sera pas lâchés d’un coup. 

​J​e serai sans doute évalué sur mon travail actuel, mais je ne sais pas sous quelle forme. J’ai l’impression que ça va : plusieurs infirmières m’ont félicité, j’étais tout content… D’autant que je vais postuler pour de bon dans ce service, c’est mon idée depuis le début. J’ai vraiment l’impression d’avoir trouvé ma place, et je rêve de rester. » 


Évan, étudiant infirmier mobilisé : “La contagiosité explose après le décès” 

« Mes deux derniers jours de travail ont été durs. J’ai moyennement envie d’en parler, mais je peux dire qu’on a eu plusieurs décès dans le service, dont un de mes patients, âgé d’une soixantaine d’années. En temps normal, aides-soignants et infirmiers font la toilette des personnes décédées : ce sont eux qui ôtent tous les dispositifs (perfusions, cathéters, pacemakers), lavent le visage et les parties intimes du défunt, et couvrent son corps d’un drap avant que la famille ne vienne le voir. Ensuite, le corps est conduit à la morgue et ce sont les pompes funèbres qui s’en occupent. 

Avec le Covid-19, on nous a expliqué que le taux de contagiosité explose après le décès. Avant la venue de la famille, nous plaçons donc un masque sur la bouche et le nez du défunt, et nous équipons les visiteurs qui viennent le voir une dernière fois de blouses, masques et gants. Ils peuvent toucher le corps avec les gants, qu’ils doivent jeter avant de se laver soigneusement les mains. 

Ensuite, c’est nous qui devons placer le corps dans une housse mortuaire : une grande enveloppe de plastique blanche, avec une fermeture éclair. Au début, mes collègues en superposaient deux, parfois même trois, pour une étanchéité maximum. On n’en a plus suffisamment, donc on se contente d’une seule. Ensuite, nous emmenons le patient jusqu’à la morgue de l’hôpital. 










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