Lecture proposée par Muriel
Article dans Le Monde,
Publié le 25/03/2020 par Juliette Bénabent
Évan, étudiant infirmier : “C’est un peu fou comme
entrée dans la vie professionnelle”
Illustration.
Agnès Decourchelle pour Telerama
Évan, 23 ans. Étudiant infirmier,
il s’est porté volontaire à l’AP-HP. Il raconte son quotidien d’aide-soignant,
un quotidien lourd de responsabilités. Impressionnant.
Évan (son prénom a été
modifié), 23 ans, est étudiant dans un institut de formation en soins
infirmiers (Ifsi) parisien, en troisième année. Il sera diplômé à l’été 2020.
Depuis quelques jours, il est mobilisé dans le service de réanimation d’un
grand hôpital de la banlieue parisienne. Il raconte au téléphone le soir, en
faisant chauffer son dîner au micro-ondes, puis en l’avalant fissa. À 22
heures, on l’entend se brosser les dents, et il raccroche pour aller se
coucher.
« Début mars, la direction de
l’école nous a dit qu’on serait peut-être mobilisés, sur la base du
volontariat. Puis, j’ai reçu un mail me demandant de me tenir prêt. J’ai quitté
l’appartement familial, car un membre de ma famille est asthmatique et je ne
veux pas l’exposer. Je me suis installé dans le studio prêté par une amie, qui
a quitté Paris.
Dans mon service, il y a une
dizaine de lits en temps normal, en cours de doublement cette semaine.
J’effectue un travail d’aide-soignant : comme tous les étudiants infirmiers,
j’ai obtenu en fin de première année une équivalence du diplôme
d’aide-soignant. Côté rémunération, c’est très flou : on nous a d’abord dit
qu’on serait payés comme en stage, soit 250 euros nets pour 175 heures de
travail (c’est-à-dire à peine 1,43 euro de l’heure !) Maintenant, on évoque des
primes possibles, voire un salaire pour « faisant fonction d’aide-soignant ».
On verra, mais je trouve un peu gonflé de nous considérer suffisamment
compétents pour travailler, mais pas assez pour être payés
Commencé à 7h30 et fini à 19h30
En clair, nous sommes les petites mains du service : on
assure les toilettes des patients, leurs repas, le rangement et le réassort du
matériel (blouses, seringues, médicaments, matériel nécessaire à l’intubation...),
le circuit du linge, les poubelles, etc. Tous les patients du service sont
atteints du Covid-19, certains intubés, d’autres non, certains conscients,
d’autres non.
Le premier jour, j’ai commencé à 7h30 et fini à 19h30.
J’ai eu la trouille en apprenant que j’avais la charge de trois patients, ça me
semblait beaucoup. C’étaient trois hommes entre 45 et 80 ans. Le premier,
intubé, était le plus atteint ; les deux autres étaient sous assistance
respiratoire plus légère, ils allaient bien. Après le passage de relais avec le
collègue de nuit, j’ai fait mon premier tour, en binôme avec une infirmière :
faire les toilettes, contrôler la température, la tension, la glycémie, la
diurèse (le volume des urines). Toutes les quatre heures, nouveau tour pour
prendre ces constantes.
-“Enlever
la blouse et les gants, se laver les mains, retirer le masque, se laver les
mains, puis la charlotte, se laver les mains…”
Avant d’entrer dans chaque
chambre, il faut enfiler une tenue jetable par-dessus la professionnelle :
blouse, charlotte, gants, masque FFP2, lunettes de protection. Le service ne
manque pas de matériel, mais on fait attention. À chaque sortie de chambre, il
faut tout jeter, sauf les lunettes, qu’on désinfecte. Si on oublie quelque
chose avant d’entrer dans la chambre, il faut tout recommencer à moins qu’un
collègue te donne ce dont tu as besoin depuis le couloir. Par exemple, si tu
mesures la glycémie et que tu vois que le patient a besoin de sucre, si tu ne
l’as pas anticipé, tu dois te déshabiller, sortir de sa chambre et te rhabiller
de propre en revenant avec le sucre. C’est le circuit de la «
marche en avant », qu’on apprend à l’école : ce qui est propre
reste propre ; ce qui est sale doit être jeté avant qu’on entre à nouveau dans
un espace propre.
J’ai passé la journée à
m’habiller et me déshabiller. La procédure est rès rigoureuse : enlever d’abord
la blouse et les gants, se laver les mains à la solution hydroalcoolique,
retirer le masque, se laver les mains, puis la charlotte, se laver les mains,
puis les lunettes, se laver les mains. Tout cela prend beaucoup de temps.
Rarement senti aussi utile
Les autres tâches consistent à
servir les repas, gérer le matériel et la réserve, masser les patients pour
éviter les escarres. Il faut aussi vider les poubelles de déchets biologiques
contagieux, ranger le linge, déposer les bilans sanguins au laboratoire. Et
faire le ménage, car les agents extérieurs embauchés pour le faire en temps
normal ne viennent plus.
C’est un peu fou de vivre ça
comme entrée dans la vie professionnelle. Quand on étudie le Plan Blanc
hôpitaux (dispositif de crise permettant aux hôpitaux de mobiliser immédiatement
tous leurs moyens pour faire face à une situation sanitaire exceptionnelle, par
exemple déclenché lors de la canicule en 2003, NDLR), on l’apprend
en pensant qu’on ne le vivra jamais. Là, je suis en plein dedans, avant même
d’être diplômé… Pour l’instant, je suis vraiment content. Le matin, on me
remercie d’être là et le soir, en sortant du métro, j’entends les applaudissements
aux fenêtres. Je me suis rarement senti aussi utile, je comprends pourquoi j’ai
choisi ces études et j’ai le sentiment d’être au bon endroit. »